Reportage : la maison de Coluche
À la maison de Coluche,
le temps de l’urgence, le temps de la reconstruction
Les paniers à linge sont installés dans le hall d’entrée. Ce matin, elles seront trois à y déposer draps et taie d’oreiller. Trois qui quitteront la maison avant 10h, avec leurs sacs, leur valise. Trois qui, après huit à dix jours de toit et repas assurés, devront repasser par le 115 pour trouver un hébergement. Le numéro d’urgence sociale leur donnera peut-être à nouveau accès dès ce soir à la Maison de Coluche. Ou dans un autre centre d’hébergement d’urgence. À moins qu’une relation n’accepte de leur ouvrir la porte. Sinon ce sera la rue.
“Elle est sortante Denise? À son âge, elle devrait être à la retraite, tranquille, à s’occuper de ses petits enfants…” se désole Laïdé qui termine sa première cigarette de la journée installée sous le porche d’entrée. Voir partir la vieille dame, chargée de ses sacs la touche.
Au sein de la Maison de Coluche, Laïdé est une “PC”. PC pour “principe de continuité”. C’est-à- dire qu’elle a signé un contrat de séjour temporaire qui lui laisse le temps de se reconstruire pour évoluer vers une solution durable: un logement autonome où elle pourra accueillir sa fille, une formation, un métier avec de quoi vivre et rembourser ses dettes, la fin des relations toxiques et des problèmes d’addiction… Le “principe de continuité”, Denise n’y a pas accès: sa situation administrative est encore trop floue pour bâtir un projet. Alors elle fait des aller-retour à la Maison de Coluche. Elle s’y pose pendant une dizaine de jours, en accord avec le 115 qui, au bout de cette période, « récupère » la chambre pour la réattribuer à une personne sans-abri. Parce qu’il y a quelque 3 000 personnes à la rue à Nantes et que la trentaine de places disponibles à la Maison de Coluche fait partie du dispositif mis en place dans l’agglomération pour répondre à leurs besoins vitaux.

Le Covid a fait bouger les limites
Bertrand, le coordinateur salarié de la Maison est là ce matin pour superviser les sorties. Il se résigne lui aussi à voir partir Denise : “On la connaît, on la suit depuis 8 mois. Mais, tant qu’elle n’a pas de titre de séjour, on ne peut pas faire plus…” Faire plus, plus que quelques nuits au chaud, avec l’assurance d’au moins un dîner et un petit-déjeuner, c’est pourtant ce à quoi travaille l’équipe de la Maison de Coluche, dans les limites légales, institutionnelles, financières qui sont les siennes.
Des limites que la pandémie a pas mal bousculées : “Auparavant, les personnes étaient accueillies pour une durée maximum de trois jours et trois fois par semaine on avait 8 à 10 sorties. Avec le Covid 19, pour limiter les risques de contamination, on a réduit le nombre de sorties à une dizaine par semaine en rallongeant les séjours..”
Passer d’un accueil de 2 ou 3 jours à une semaine ou plus, voilà qui change la nature même de l’accueil. Pour les personnes accueillies bien sûr, à qui la Maison de Coluche procure une vraie pause dans l’angoisse d’avoir à trouver un endroit pour dormir. Plus de temps, c’est ce qui leur permet aussi de faire la connaissance de ceux avec qui ils cohabitent, et cela contribue beaucoup à apaiser l’ambiance de la Maison.
Un oeil sur l’horloge
Le temps, c’est, au quotidien, un élément central dans la vie de la Maison de Coluche. C’est lui qui dicte l’essentiel du règlement de la Maison. Strict le règlement : “Ici, les résidents ont moins de libertés qu’un ado de 16 ans, alors c’est sûr, parfois ça coince.”
Mais c’est cette rigueur qui assure la cohabitation la plus harmonieuse (ou la moins conflictuelle) possible entre les résidents.
À la Maison de Coluche, outre l’interdiction de l’alcool et des produits illicites (ce que ne font pas tous les centres d’hébergement d’urgence), le rythme de vie est donc très borné. Arrivée entre 16h et 20h avec le risque pour les retardataires de voir la place réattribuée par le 115. Départ obligatoire à 10h (13h le samedi et ouvert toute la journée les dimanches et jours fériés).
La pendule qui trône dans l’espèce de guérite qui occupe l’entrée et dans la salle de restaurant est là aussi pour rappeler que le dîner c’est entre 18h45 et 20h et le petit-déjeuner de 7h à 9h; que l’accès aux machines à laver est fermé à 19h; que plus personne ne doit se trouver dans les espaces communs après 23h30…
Du temps compté pour les résidents, du temps compté pour les professionnels que l’on sent attentifs à tous. Pour donner un rendez-vous, faire un rappel à l’ordre, dire simplement bonjour, laisser la porte ouverte à l’écoute…
Au-delà du formalisme de l’entretien d’accueil et des rendez-vous fixés pour régler tel ou tel problème, c’est avec le temps et parfois dans des rencontres entre deux portes, que se crée l’échange, qu’émergent problèmes et (parfois) solutions. Comme pour ce résident qui, au bout d’une semaine, a lâché qu’il payait 60€ pour avoir une domiciliation, alors qu’à Nantes c’est un service gratuit proposé par le CCAS (centre communal d’action sociale).
Certains, peut-être handicapés par la barrière de la langue se limitent à un rapide bonjour de la tête. D’autres vident tout leur sac. Ainsi cette jeune femme qui, à peine la porte franchie, saute sur Noémie et Sylvie, les deux monitrices-éducatrices de service ce soir-là, pour leur déballer tout ce qu’elle a fait dans la journée. En particulier ce long coup de fil reçu d’une structure qui veut lui vendre une formation de modiste-coiffeuse-esthéticienne à distance. Rendez-vous est pris dans la semaine avec Sylvie pour voir ça plus de près…
Avec l’atelier couture, la rue s’éloigne
Le temps c’est qui permet aux professionnels de la Maison d’être à l’écoute de ceux qu’ils accueillent, de mettre en place un accompagnement pour ceux qui le souhaitent, y compris s’ils sont de passage. Ce qui permet de proposer des activités. Une initiation à l’informatique le mercredi après-midi avec un bénévole. Ou l’atelier couture imaginé au début de la pandémie pour fabriquer les masques qui faisaient défaut.
Depuis, l’atelier a produit toute une série de créations utiles aux gens de la rue: un sac pour mettre ses affaires quand on passe la journée dehors, un sac à dos quand il faut déménager, une trousse de toilette, une blague à tabac, une sangle pour la grosse enceinte connectée qu’un des résidents réguliers de la Maison ne quitte pas… “Aujourd’hui on a parfois plus d’hommes que de femmes! Et tout part de la demande des résidents. Le jour où il n’y aura plus de demande, l’atelier disparaîtra.”
Une autre activité prendra alors la place. Car avant tout, c’est ce que l’atelier fabrique dans les têtes qui intéresse l’équipe: de la sérénité, de l’apaisement, de la fierté. “Et pendant un moment, ils oublient la rue.”
Aider plus, aider mieux
Prendre le temps de laisser éclore la confiance, puis s’attaquer, un à un, aux obstacles qui se sont mis en travers de la route des résidents: santé, drogue, chômage, surendettement, isolement… C’est ce à quoi s’emploient Bertrand, Carole, la conseillère en économie sociale et familiale qui coordonne l’accompagnement des personnes stabilisées, Sylvie, Noémie et leurs collègues moniteurs-éducateurs.
Pas seulement parce que c’est leur métier : “Une partie des actions, notamment l’atelier couture, ne sont pas financées. On fait ça en partie sur notre temps libre, avec notre propre matériel.”
À la Maison de Coluche, l’équipe ne peut simplement pas se contenter de voir repartir à la rue sans s’en préoccuper ceux qu’elle a hébergés un moment. Elle ne peut pas non plus transformer ce qui est un centre d’urgence en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
Les tiraillements entre l’envie d’accueillir le plus de monde possible et l’envie d’aider davantage encore ceux qui passent par la Maison ne sont sans doute pas à la veille de disparaître. Pas plus que les pincements au cœur, sur le coup de 10h, les jours de sortie.
Trois parcours
Sabine
“J’étais auxiliaire de vie à domicile et j’ai fait un burn-out. On nous demandait de travailler jusqu’à 14h par jour et, si on refusait, c’était du chantage affectif: “ Vous allez laisser des gens sans aucun soin!” J’ai demandé un départ à l’amiable que je n’ai pas eu. Alors j’ai fait un abandon de poste. Et là, ç’a été la dégringolade. Huit mois avant de toucher le solde de tout compte que me devait mon employeur, les dettes qui s’accumulent. Au bout d’un an et demi je me suis retrouvée dehors. J’ai passé une journée à la rue, à Nantes où j’habitais. Je suis allée voir le CCAS (centre communal d’action sociale) qui a contacté le 115. Je suis allée à la Halte de nuit qui a aussi appelé le 115 pour moi. Et tout de suite je me suis retrouvée ici. Il n’y a pas mieux comme tremplin pour redémarrer, on nous aide énormément, avec une grande écoute, beaucoup de soutien.
J’ai des soucis de santé et je ne sais pas quand je pourrai reprendre le travail. J’ai été auxiliaire de vie pendant 5 ans après avoir été aide-soignante et ambulancière urgentiste. Je voudrais devenir formatrice, j’ai les diplômes nécessaires.”

Ludovic
“J’ai eu un accident de parcours, avec pas mal de dettes. Je viens de la région parisienne et j’ai dû partir parce qu’il y a tellement de monde à la rue là-bas que ce n’est pas possible de s’en sortir. J’ai regardé sur internet un classement des “villes les plus sociales” et c’était soit Rennes, soit Nantes. Ça a été Nantes et je n’ai pas été déçu: celui qui dit ne pas trouver à manger à Nantes, c’est pas vrai! J’ai été à la rue pendant 15 jours. Je prenais le tram jusqu’au terminus, je marchais, je dormais dans des cages d’escalier, quelques nuits sur un matelas dans un box. Des vigiles, avant d’être rappelés à l’ordre, m’ont laissé dormir une semaine dans la salle d’attente du CHU, parce que j’étais tranquille. À force d’appeler le 115, on m’a proposé une place ici, début décembre. À partir de là, j’ai pu travailler. Chauffeur-livreur, préparateur de commandes. Là, je suis en intérim chez Amazon et je devrais avoir un CDI en mars. Ici tout est fait pour qu’on ne replonge pas après. Maintenant je suis pressé d’avoir un chez-moi.”

Laïdée
“Alcool, produits, dettes…: je sombrais. J’ai laissé ma fille de 13 ans à son papa et je suis partie au Sénégal, chez mon père, pour me refaire. Jusqu’au 17 mars, il y a un an: au cours d’une fête, je m’étais assise sur un balcon et je suis tombée du 4° étage, sur une voiture. Mâchoire, deux vertèbres et épaule cassées, pneumothorax, plaies à la tête, au dos, coma, pronostic vital engagé. J’ai été rapatriée en France le 1er mai. Je marchais difficilement, j’étais sous morphine. J’ai vécu un mois à l’hôtel avec un ami, avant qu’il ne mette à la porte. J’ai appelé le 115. Deux heures après, ils me proposaient une chambre à l’hôtel Appart’City. Ça a duré sept mois. Après ça a été le “24 bis”, rue des Olivettes puis Les Cinq Ponts, une semaine à chaque fois. On était en janvier, le 115 m’a alors proposé la Maison de Coluche. A l’Appart’City, la seule personne que je voyais dans la semaine, c’était la femme de ménage. Ici, je ne suis pas livrée à moi-même. Je stoppe mes petites déviances, je n’ai pas envie de fréquenter des personnes pas bien. Et entre nous il y a beaucoup de bienveillance. Je passe bientôt en commission pour un logement relais, avec une chambre pour ma fille. Je vais faire une formation pour devenir référente sociale. Je me laisse trois mois, mais ça va bouger rapido!”
Repères
30 chambres.
La Maison de Coluche est l’un des centres d’hébergement d’urgence de l’agglomération de Nantes. Elle dispose de 30 chambres (dont deux, accessibles aux personnes à mobilité réduite, peuvent aussi accueillir des couples). Ces 30 à 32 places font partie du dispositif d’urgence pour les personnes sans abri géré par le 115. C’est ce service d’appel qui attribue les places, sans aucune condition, mais uniquement à des adultes (pas de familles, pas de mineurs).

À Nantes vivent environ 3 000 personnes sans abri. Le 115 reçoit chaque jour environ 300 appels, pour un total de quelque 90 places d’accueil d’urgence dans l’agglomération
Avec les chiens
La Maison de Coluche a été créée pour répondre à un besoin qui n’était pas couvert sur le territoire : l’accueil de personnes sans domicile accompagnées de leur animal de compagnie. Elle peut recevoir au maximum neuf chiens
Contrat
Une dizaine de personnes accueillies ont signé un “contrat de séjour temporaire” par lequel elles s’engagent à avancer pour s’en sortir, avec l’aide en particulier de Carole, conseillère en économie sociale et familiale.
“On conseille, on guide, mais la personne est responsable de sa situation… sauf bien sûr pour ce qu’elle ne peut maîtriser, comme par exemple la disponibilité en logements. On ne met pas de limite dans le temps. Si les personnes respectent le contrat, elles peuvent rester. Celles qui ont un emploi versent une participation financière. Mais on ne veut pas devenir un hôtel pour des personnes qui ne veulent plus avancer.”

Parc et jardin
La Maison de Coluche s’est installée en 2009 dans le quartier du vieux Doulon, tout au bout de la rue de la Pâture qui longe le parc du Grand Blottereau. Les Restos louent à une société HLM un bâtiment conçu à l’origine par la SNCF pour ses “roulants” en étape à Nantes. Elle dispose d’un vaste jardin, avec notamment un chenil et un potager.
Équipe
Au quotidien, la Maison fonctionne avec une équipe de quatre à cinq salariés qui se relaient, de 7h45 jusqu’à 20h30, ensuite, c’est un agent de sécurité qui veille. La Maison est dirigée par un tandem formé par une bénévole, Colette Pierre, et un salarié, Bertrand Issarambe. Une infirmière de l’équipe de liaison psychiatrie précarité du CHU de Nantes y assure une permanence.
Bénévoles
Leur présence multiplie les occasions d’échange avec les résidents et permet aux salariés de dégager du temps pour des interventions spécifiques. Les effectifs de bénévoles ont fondu avec le Covid. Dans l’idéal, il faudrait une personne le matin au petit déjeuner et deux personnes le soir.
Repas
La Maison ne dispose pas d’une véritable cuisine. Chaque soir les monitrices-éducatrices composent le repas avec des résidents en séjour long et des bénévoles. Le plat de résistance, offert par la Sodexo, vient de la cuisine scolaire de la Joliverie. Il est apporté chaque matin par une équipe de ramasse bénévole. Reste à le réchauffer, à préparer l’entrée, majoritairement à base de conserves provenant des Restos et à mettre en place les desserts.
Chantier
Depuis 2019, les chambres ont été rénovées et les huisseries et l’isolation revues. Une troisième phase de travaux est en cours d’élaboration avec la société HLM propriétaire du bâtiment: un réaménagement des espaces collectifs avec notamment un agrandissement vitré sur le jardin et la disparition de la guérite qui occupe l’entrée pour créer un véritable espace d’accueil.
Une journée à la Maison de Coluche